Depuis trois mois et la crise ukrainienne, lâenvironnement Ă©conomique a complĂštement changĂ©. Le besoin dâaccĂ©lĂ©rer la transition Ă©nergĂ©tique se fait encore plus sentir alors que les prix des Ă©nergies fossiles flambent un peu partout en Europe et pĂšsent sur les bilans des entreprises. Pour nos dirigeants, lâindĂ©pendance Ă©nergĂ©tique devient une prioritĂ©. Le gouvernement vient dâannoncer que la France visait dĂ©sormais une baisse des Ă©missions de 50% dâici Ă 2030, contre 40% auparavant. Surtout les acteurs Ă©conomiques qui accĂ©lĂšrent Ă©galement depuis quelques mois. En 2021, les Ă©missions de gaz Ă effet de serre de lâHexagone ont diminuĂ© de 3,8% par rapport Ă 2019, pour sâĂ©tablir Ă un niveau 23% infĂ©rieur Ă celui de 1990. Mais pour aller plus loin et arriver Ă la neutralitĂ© carbone, plusieurs dizaines de milliards dâeuros seront nĂ©cessaires et le contexte rĂ©glementaire devra ĂȘtre largement simplifiĂ©. Retour sur les enjeux des ENR prĂ©sents et Ă venir avec sept acteurs clĂ©s du marchĂ©.
MdA : Pourtant, lâhydrogĂšne avait du mal Ă dĂ©marrerâŠ
Christine Le Bihan-Graf : Oui cela a mis du temps. Il faut dire que la commission europĂ©enne a un an et demi de retard sur lâexamen des demandes dâaides dans le cadre des IPCEI notamment. Les premiĂšres notifications sur les plus gros projets, qui concernent le marchĂ© amont de lâhydrogĂšne, devraient ĂȘtre effectuĂ©es cet Ă©tĂ©. Toutefois, la Commission europĂ©enne ne valide quâun niveau dâaides, ce sont les Etats qui doivent ensuite les verser. Les porteurs de projets devront donc demander des subventions dans le cadre de France 2030 avant de pouvoir mettre en Ćuvre leurs projets. Ces aides Ă lâinvestissement devront sans doute encore ĂȘtre complĂ©tĂ©es par des aides au fonctionnement. Des discussions sont en cours avec lâEtat sur la possibilitĂ© de compenser le diffĂ©rentiel entre le prix de lâĂ©lectricitĂ© et le prix de lâhydrogĂšne au travers de « contracts for difference». Donc il y a un fort dynamisme dans un contexte chahutĂ© par la volatilitĂ© des prix mais porteur.
Vincent Trevisani, Ashurst : Nos clients investisseurs sont toujours trĂšs actifs. La vraie difficultĂ© est de trouver les bons projets avec les bons rendements, dâautant que beaucoup de fonds trĂšs diffĂ©rents se concurrencent sur certains projets; on retrouve ainsi des fonds dâinfrastructure, de Private Equity, dâimpact, des investisseurs institutionnels, des groupes Ă©nergĂ©ticiens, des family offices⊠Et de fait, les valorisations ont tendance Ă sâenvoler dans le cadre de processus concurrentiels car il devient trĂšs difficile pour les investisseurs de trouver des deals bilatĂ©raux sans mise en concurrence. Le marchĂ© français attire aussi beaucoup les clients anglo- saxons, qui manifestent toujours de lâintĂ©rĂȘt pour les ENR traditionnelles tel que lâĂ©olien et le solaire mais aussi pour les secteurs moins matures, notamment celui de mĂ©thanisation. Dans ce secteur de la mĂ©thanisation, ils sont habituĂ©s Ă des projets plus importants en taille dans dâautres pays europĂ©ens et pour eux lâenjeu est dâapprĂ©hender lâenvironnement rĂ©glementaire français dans sa globalitĂ© mais aussi de façon plus opĂ©rationnelle, ils veulent Ă©valuer les risques en matiĂšre dâapprovisionnement des intrants et de commercialisation du biogaz. En effet, selon la taille et lâorganisation des projets de mĂ©thanisation, il y a un risque de contrepartie plus ou moins important.
Christine Le Bihan-Graf, De Pardieu Brocas Maffei : Je partage ce qui a Ă©tĂ© dit par Vincent sur la dynamique mais je dirais que ce qui a changĂ© par rapport Ă 2021, câest le contexte Ă©conomique. Depuis quelques mois, le contexte Ă©conomique a eu un effet dâaccĂ©lĂ©rateur dans les ENR, notamment dans le solaire certains acteurs se posent vraiment la question de signer un contrat de complĂ©ment de rĂ©munĂ©ration. Dâautres se demandent sâils ne doivent pas rĂ©silier leur contrat et vendre leur Ă©nergie directement sur le marchĂ© de gros. Ils ont gagnĂ© en confiance et surtout la demande est plus importante que lâoffre. Or la signature dâun PPA peut leur permettre dâaugmenter le prix de vente de leur Ă©lectricitĂ© et de basculer vers lâĂ©conomie de marchĂ©. Et puis par ailleurs, au-delĂ de la mĂ©thanisation, il y a aussi la trĂšs forte accĂ©lĂ©ration des les clients anglo-saxons, qui manifestent toujours de lâintĂ©rĂȘt pour les ENR traditionnelles tel que lâĂ©olien et le solaire mais aussi pour les secteurs moins matures, notamment celui de mĂ©thanisation.ââ. Souvenez-vous il y a encore un an, beaucoup dâacteurs Ă©taient dĂ©couragĂ©s par la rĂ©duction des tarifs dâachat et anticipaient la renĂ©gociation de leur dette plutĂŽt que de se lancer dans de nouveaux projets. DĂ©sormais la donne a changĂ© avec la hausse des prix de marchĂ©
Guy Auger, Andera Smart Infra : Je suis dâaccord, la dynamique est lĂ , et le marchĂ© passe un nouveau cap. On vivait un peu dans un monde de bisounours oĂč lâon ne se posait pas la question de la vente de lâĂ©lectricitĂ©. DĂ©sormais, la question se pose. Cela ouvre un champ des possibles Ă©norme. On arrive Ă une maturitĂ© du marchĂ© telle quâoutre les producteurs dâĂ©lectricitĂ©, les entreprises sâintĂ©ressent de plus en plus Ă ces sujets pour crĂ©er leur propre Ă©lectricitĂ©; Au prix ou je paye mon Ă©lectricitĂ© ils se disent jâaurais peut-ĂȘtre intĂ©rĂȘt Ă crĂ©er notre propre Ă©lectricité⊠Les possibilitĂ©s sont multiples. AprĂšs pour revenir sur lâHydrogĂšne, je nâai pas vu tous les dossiers rĂ©cents mais beaucoup dâentreprises en sont encore quâau dĂ©but de leur aventure avec un horizon plutĂŽt en 2025. Chez Andera Partners, nous avons choisi dâinvestir dans Lhyfe, pionnier de la production dâhydrogĂšne vert issu dâĂ©nergies renouvelables. Lâentreprise est trĂšs en avance sur ses concurrents et pourrait bien devenir un leader europĂ©en dans ce secteur. Mais pour revenir sur les enjeux du moment, je pense que le stockage est le chaĂźnon manquant de lâaction gouvernementale. On peut multiplier les projets dâENR mais si on nâa pas vraiment de marchĂ© de stockage en France, on va se retrouver avec un problĂšme dâoverproduction dâici 2030. Or câest essentiel. Si on ne fait rien, on va se trouver avec un vrai problĂšme de surcapacitĂ©. Il me semble que la crĂ©ation de sociĂ©tĂ©s de stockage devrait ĂȘtre une des prioritĂ©s.
Maud Minoustchin, Trocadero CP : Du point de vue investisseur, en particulier du capital investissement, la tendance est clairement Ă lâaccĂ©lĂ©ration. En 2021, le marchĂ© a vu 2 fois plus dâinvestissements dans les cleantechs en Europe par rapport Ă 2020. En France la tendance est la mĂȘme (2,5 Mds⏠investis). Fait intĂ©ressant, pour la premiĂšre fois en 2021, ce ne sont plus les ENR qui arrivent en tĂȘte des secteurs les plus prisĂ©s par les investisseurs mais lâĂ©conomie circulaire. Cela montre clairement la maturitĂ© des ENR mais aussi lâimportance et lâurgence quâil y a dĂ©sormais Ă sâintĂ©resser Ă dâautres sujets tels que lâĂ©conomie circulaire et plus gĂ©nĂ©ralement la dĂ©carbonation de lâĂ©conomie pour arriver Ă lâobjectif europĂ©en de neutralitĂ© carbone en 2050.
Fanny Grillo, Edf Invest : Les ENR ont clairement le vent en poupe mais les valorisations sont Ă©galement Ă©levĂ©es que cela soit dans le renouvelable ou le solaire. La question se pose de savoir si le marchĂ© actuel nâest pas « une bulle ». Il convient donc dâĂȘtre plus sĂ©lectif en raison de ces prix Ă©levĂ©s.
Au sein des renouvelables, de nouvelles opportunitĂ©s se crĂ©ent et au-delĂ des renouvelables, il faut dĂ©carboner les actifs dâinfrastructure existants Ă savoir les autoroutes, les aĂ©roports, des rĂ©seaux de gaz, les stockages dâhydrocarbure. Cela demande un travail significatif de professionnels en termes de gestion dâactifs pour dĂ©velopper des nouveaux projets et faire adhĂ©rer les diffĂ©rentes parties prenantes. Les actifs carbonĂ©s comme les actifs dâhydrocarbure sont des actifs tout dĂ©signĂ©s pour lâhydrogĂšne de demain. Une de nos participations Ă un projet de production dâhydrogĂšne renouvelable par Ă©lectrolyse (60MW) Ă partir dâĂ©lectricitĂ© gĂ©nĂ©rĂ©e par une centrale photovoltaĂŻque flottante (300MWc) sur des Ă©tangs de saumure de la zone de Fos-sur-Mer, dans le but dâapprovisionner les industriels de la zone et de rĂ©pondre Ă de futurs usages de mobilitĂ©s de la rĂ©gion. Il faudra certes lâoctroi des autorisations administratives nĂ©cessaires mais il y a une vraie volontĂ© cĂŽtĂ© investisseur de dĂ©carboner les actifs dâinfrastructure existants et de poursuivre le dĂ©veloppement des renouvelables. Un autre sujet important me semble tâil est la hausse des taux dâintĂ©rĂȘt. Dans ce contexte de marchĂ©, quel est lâimpact sur nos investissements et sur cette transition ?
Julien Lupion, BPIFrance : Lâimpact de ce dernier sujet sur le marchĂ© est majeur. On connaĂźt un premier semestre 2022 peu dynamique sur le
financement des ENR et en particulier dans lâĂ©olien. La dĂ©gradation des conditions Ă©conomiques et de financement impacte trĂšs diffĂ©remment les projets. Il y a ceux qui restent viables malgrĂ© la hausse des taux et de lâinflation et du coup, dâautres projets qui sont complĂštement mis en attente. Certains acteurs sont trĂšs agiles et arrivent Ă trouver des solutions mais la capacitĂ© de pouvoir faire ces pivots trĂšs rapides nâest pas Ă©vidente. En pratique, cette donne de marchĂ© accĂ©lĂšre le passage des projets vers la vente directe sur le marchĂ© ou aux consommateurs.
MdA : Et du cÎté des investisseurs institutionnels, quel est le sentiment qui domine ?
Jean-Christel Trabarel : CotĂ© LPs, on sent une vraie prise de conscience et une accĂ©lĂ©ration. Lâoffre est plus riche car de plus en plus de fonds dĂ©diĂ©s Ă la transition Ă©nergĂ©tique se lancent Ă lâinternational avec par exemple Macquarie et son fonds GIG Energy Transition Solutions ou Brookfield qui lĂšve un fonds focus climat de 15 milliards de dollars. Câest la mĂȘme dynamique en France avec Tikehau, Capital Croissance, Eiffel, Eurazeo, EpopĂ©e Gestion, Tilt, Ring, Andera Partners, Trocadero CPâŠ.lâoffre sâĂ©largit chaque jour un peu plus depuis deux ans. Il y a aussi les fonds Ă impact catĂ©gorisĂ©s Article 9 dans la rĂ©glementation europĂ©enne SFDR. RĂ©sultat : Il y a des poches dâinvestissement dĂ©diĂ©es Ă lâimpact chez les LPs, reprĂ©sentant dĂ©jĂ plusieurs centaines de millions dâeuros sur le marchĂ© français. Par exemple, le Fonds EuropĂ©en dâInvestissement se positionne fortement sur les fonds de private equity orientĂ©s Climat, dans le cadre dâun mandat pour la Banque EuropĂ©enne dâInvestissement, qui se revendique comme Ă©tant la banque du climat. Ce qui me frappe aussi câest que certains LPs commencent Ă se positionner sur les dossiers avec un horizon 2050. Ils se demandent par exemple comment les GPs anticipent ces sujets et vont se mettre en ordre de bataille pour ĂȘtre carbone neutre.
Autant les Nordiques et les Anglo- Saxons étaient en avance sur les sujets ESG, je dirais que les LPs français sont désormais à la pointe sur le thÚme de la décarbonisation des portefeuilles.
Maud Minoustchin : Nous lançons avec TrocadĂ©ro CP un fonds de private equity article 9 dĂ©diĂ© Ă la transition environnementale et Ă la dĂ©carbonation des PME. Nous sommes en cours de levĂ©e de fonds auprĂšs de grands institutionnels et nous recevons un accueil positif. La rĂ©glementation europĂ©enne sur la transparence des informations en matiĂšre dâinvestissements durables (RĂšglement SFDR) impose dĂ©sormais aux LPs de communiquer sur la part verte de leurs actifs, ce qui enclenche une dynamique vertueuse de flĂ©chage des capitaux vers les fonds « verts ». Notre fonds Trocadero Environnement & Performance vise un objectif dâalignement Ă lâAccord de Paris. Cet objectif est dâautant plus ambitieux que nous nâallons pas cibler uniquement les pure players de la transition Ă©nergĂ©tique mais Ă©galement accompagner les PME de tout secteur Ă se dĂ©carboner. Ce fonds fait partie des tous premiers fonds français article 9, et cela demande naturellement quelques efforts de pĂ©dagogie auprĂšs des LPs les moins avertis.
Guy Auger, Andera Smart Infra : Oui câest un vrai sujet, dâailleurs je dirais que la majoritĂ© des LPs aime approfondir les discussions sur ces sujets.
Fanny Grillo : Jâai lâimpression quâil y a un risque dâĂ©carter certains types dâinvestissement pour les fonds qui se qualifient dâArticle 9. Je mâinterroge de savoir si les fonds article 9 pourront investir dans les mĂȘmes typologie des investissements en vue de « dĂ©carboner ces actifs » que les fonds dâinfrastructure classique ?
Maud Minoustchin : La taxonomie europĂ©enne permet aussi aux fonds article 9 dâinvestir dans des activitĂ©s qui sont en cours de dĂ©carbonation, si tant est que certains critĂšres techniques de rĂ©duction des Ă©missions de carbone et de limitation des incidences nĂ©gatives sur lâenvironnement soient respectĂ©s. Aujourdâhui, la taxonomie couvre environ 90 secteurs dâactivitĂ© qui sont les plus Ă©missifs : la construction, les transports, lâĂ©nergie, lâindustrie manufacturiĂšre. Par ailleurs, la taxonomie est un objet vivant avec des mises Ă jour rĂ©guliĂšres.
Fanny Grillo : A lâĂ©chelle de la France, il faut regarder les grandes zones Ă dĂ©carboner comme le Havre, la Seine, Fos. Ensuite, la question est de savoir si les fonds Ă impact peuvent investir dans ces actifs. Les fonds dâinfrastructure peuvent jouer ce rĂŽle.
Christine Le Bihan-Graf : LâintĂ©rĂȘt de la taxonomie est dâobliger les acteurs Ă ĂȘtre transparents et Ă communiquer des informations conformes Ă ces indicateurs de durabilitĂ©. La taxonomie nâinterdit pas lâinvestissement dans des actifs carbonĂ©s, elle interdit de dĂ©clarer durable ce qui ne lâest pas. Ce faisant, elle va orienter les investissements vers les activitĂ©s qui doivent devenir plus durables. Il ne sâagit donc pas de dĂ©sinvestir dans certaines activitĂ©s mais de les accompagner sur la voie de la dĂ©carbonation. MĂȘme si on considĂšre que cela ne va pas assez vite, et quâil y a encore beaucoup dâobstacles rĂ©glementaires, la France est plutĂŽt en avance en matiĂšre de finance durable et de simplification des procĂ©dures administratives. Une loi dâexception pour dynamiser le dĂ©veloppement des renouvelables en simplifiant le rĂ©gime des autorisations administratives sera discutĂ©e au Parlement en septembre. Sur la dĂ©carbonation de lâindustrie, les projets aussi sont nombreux : lâutilisation de lâhydrogĂšne ou la capture du carbone font partie des solutions. Toutefois, les produits verts ne sont pas sur Ă©tagĂšre : ce sont les investisseurs et les gestionnaires dâactifs qui devront accompagner les activitĂ©s Ă©conomiques sur le chemin de la dĂ©carbonation.
Maud Minoustchin : Cela nĂ©cessite des capitaux, beaucoup de capitaux mais aussi de mettre en place des dispositifs dâaccompagnement opĂ©rationnel sur tous ces sujets. Dâailleurs, nous recrutons un impact manager, dĂ©diĂ© Ă lâaccompagnement opĂ©rationnel de nos futures participations. Notre dĂ©marche consiste Ă dĂ©finir un plan de dĂ©veloppement mais aussi et surtout un plan de dĂ©carbonation qui sera chiffrĂ© et contractualisĂ© avec lâentreprise pour se conformer Ă la trajectoire de lâaccord de Paris. Lâimpact manager assurera la mise en musique du dispositif dâaccompagnement dont aura besoin la douzaine dâentreprises dans lesquelles nous allons investir.
Julien Lupion, BPIFrance : Sur lâenjeu de proposer conjointement du financement et de lâaccompagnement
aux entreprises pour se dĂ©carboner, nous partageons pleinement cette approche chez Bpifrance. Dâailleurs, nous sommes un interlocuteur naturel des PME/ETI. Nous leur proposons donc maintenant aussi bien des diagnostics pour Ă©valuer leur impact environnemental et identifier les sources dâĂ©conomies dâĂ©nergie par exemple que des financements Ă des conditions compĂ©titives pour mettre en Ćuvre des actions Ă impact rĂ©el sur leur empreinte carbone. Nous souhaitons contribuer Ă amplifier les diffĂ©rentes initiatives portĂ©es par les entreprises et les investisseurs.
Fanny Grillo : Ce qui est compliquĂ© parfois pour les entreprises câest de dĂ©dier des personnes en interne. Chez EDFInvest, nous intervenons sur des sociĂ©tĂ©s qui ont entre 30 et 250 M⏠dâEbitda. Notre expĂ©rience est quâil faut aider les managements car les fonds leurs demandent beaucoup de choses. Le plus souvent, les bilans carbone sont dĂ©jĂ faits dans nos participations mais il faut les agrĂ©ger au niveau de notre portefeuille et les comparer pour se donner les moyens de corriger certaines incohĂ©rences et dâaller plus loin en termes dâobjectif de rĂ©duction des Ă©missions. Par ailleurs, pour gĂ©rer la transition Ă©nergĂ©tique, nous avons mis en place des outils pour pousser nos managers Ă aller vers une accĂ©lĂ©ration de la dĂ©carbonation. Par exemple, des critĂšres ESG (comme la santĂ© et la sĂ©curitĂ© au travail ou la limitation des Ă©missions)sont introduits dans les rĂ©munĂ©rations des dirigeants. Cela peut reprĂ©senter un pourcentage significatif de leurs objectifs.
Maud Minoustchin : Câest important de promouvoir une convergence dâintĂ©rĂȘts entre LPs, investisseurs et entreprises. Nous allons fixer des objectifs environnementaux aux dirigeants dâentreprises avec une contrepartie financiĂšre, tout comme le carried du fonds sera adossĂ© Ă la performance carbone des investissements rĂ©alisĂ©s.
Fanny Grillo : Il est vrai aussi que ces sociĂ©tĂ©s on leur demande tout. DâĂȘtre âcompliantâ, de faire des âcapexâ, dâĂȘtre performants⊠Il est nĂ©cessaire de les aider et leur donner les outils pour rĂ©ussir Ă mener leur stratĂ©gie carbone.
Guy Auger, Andera Smart Infra : On fait la mĂȘme chose chez Andera (adosser notre carried aux objectifs impact). LâidĂ©e est que les Ă©quipes
dans lesquelles on investit puissent dĂ©velopper leur plan et cela marche assez bien. La sociĂ©tĂ© qui est la plus dynamique sur ces sujets dans notre portefeuille est aussi la plus petite. Le fait dâavoir un investisseur en capital, cela encourage dans la dĂ©marche et peut aider aussi Ă recruter un responsable impact. Donc on leur donne les moyens de leurs ambitions et ce sont eux qui les rĂ©alisent.
MdA : On a abordĂ© un sujet rĂ©glementaire. Un projet met parfois 10 ans Ă se rĂ©aliserâŠLes choses sont- elles en train de bouger ?
Christine Le Bihan-Graf : Oui, car lâobjectif est clair, câest la diminution des gaz Ă effet de serre. La trajectoire aussi est tracĂ©e (Fit for 55 et neutralitĂ© carbone). Pour atteindre cette neutralitĂ©, RTE a dĂ©crit des scĂ©narios. Lâenjeu central est lâĂ©lectrification du mix Ă©nergĂ©tique. De ce point de vue, la guerre de la Russie contre lâUkraine nous va contribuer Ă accĂ©lĂ©rer en mettant en mouvement des pays qui laissaient une trop grande place aux Ă©nergies fossiles dans leur mix Ă©nergĂ©tique.
Vincent Trevisani : Pour complĂ©ter les propos de Christine, du cĂŽtĂ© des investisseurs Ă©trangers, il y a quand mĂȘme parfois une difficultĂ© Ă apprĂ©hender le marchĂ© français et Ă anticiper les Ă©volutions de la rĂ©glementation, mĂȘme si la France a fait de gros progrĂšs. Je pense quâau vu des besoins dâinvestissements colossaux pour arriver Ă cette neutralitĂ© carbone en 2050, il est aussi important de pouvoir continuer dâattirer les capitaux Ă©trangers. Si lâobjectif du gouvernement est de promouvoir le mix Ă©nergĂ©tique, cela passe aussi nĂ©cessairement par une simplification des rĂ©glementations pour attirer ces capitaux dans tous les secteurs de la transition Ă©nergĂ©tique en France. Certains investisseurs internationaux prĂ©fĂšrent encore parfois aller dans des pays voisins. Je crois que compte- tenu des enjeux, on a besoin de tous les investisseurs quâils soient français, europĂ©ens et extracommunautaires.
Julien Lupion : Il y a un secteur sur lequel on voit que la rĂ©glementation agit de façon trĂšs efficace et vertueuse sur le plan environnemental, câest lâimmobilier aussi bien dans le neuf que la rĂ©novation. Les financeurs se saisissent de plus en plus de ces enjeux et notamment de la valeur verte dâun immeuble.
Jean-Christel Trabarel : De la mĂȘme façon, il y a beaucoup de fonds âArticle 9â qui sont immobiliers. Ils ont trĂšs bien emboitĂ© le pas de cette rĂ©cente rĂ©glementation europĂ©enne. Les investisseurs institutionnels y sont trĂšs sensibles. Du coup, pour leurs poches de fonds « Article 9 », les LPs ont le choix entre des fonds de venture capital, de growth equity, quelques fonds dâinfrastructure et LBO ainsi quâun large panel de fonds immobiliers. Nous avons Ă©galement les sociĂ©tĂ©s de gestion de fonds de fonds qui lancent des vĂ©hicules impact Article 9. Dans toute lâEurope, de lâEspagne aux Nordiques, des fonds de fonds Article 9 sont en cours de lancement.
Christine Le Bihan-Graf : Il y a beaucoup de rĂ©glementations parce que la rĂ©alitĂ© est complexe. Lâadministration doit rĂ©gler, par exemple, de maniĂšre Ă©quitable les conflits dâusage que peut gĂ©nĂ©rer lâutilisation des ressources naturelles. Faire de la biomasse pour faire de lâĂ©nergie, câest bien mais il y a dâautres usages du bois quâil faut protĂ©ger. Faire du biocarburant avec du colza, câest trĂšs bien. Mais le colza est aussi utilisĂ© dans lâalimentation. Le dĂ©veloppement des projets aujourdâhui peut gĂ©nĂ©rer des conflits qui doivent ĂȘtre rĂ©gulĂ©s. Ce dont il faut en revanche se dĂ©barrasser câest effectivement du millefeuille administratif avec des compĂ©tences partagĂ©es, redondantesâŠ
Fanny Grillo : Oui, les choses bougent et notamment sur les nouveaux projets en lien avec le solaire. Sur ces projets, il nâest pas simple de savoir ce qui est de la compĂ©tence du maire, du dĂ©partement, de la rĂ©gion, du prĂ©fet, de lâĂ©chelon nationalâŠNous travaillons volontiers avec nos participations Ă sây retrouver.
Guy Auger, Andera Smart Infra : Si on veut arriver Ă accĂ©lĂ©rer il faut arriver au moins Ă un objectif clair et des pouvoirs dĂ©cisionnels simples. Câest un peu le but de la loi dâexception.
Christine Le Bihan-Graf : Un grand nombre dâacteurs se sont prĂȘtĂ©s Ă lâexercice des bacs Ă sable qui permet de faire remonter des propositions de simplification ou dâĂ©volutions rĂ©glementaires Ă la CRE afin quâelles soient prises en compte dans la loi. Cette procĂ©dure de remontĂ©e dâinformations est une bonne idĂ©e. Il faut que les acteurs sâemparent de cette possibilitĂ©.
MdA : On a abordĂ© briĂšvement le sujet des valorisations. Guy, les actifs se vendent trĂšs cher. Peut-on aller jusquâĂ parler de Bulle ?
Guy Auger : Je pense quâil nây a pas une bulle mais des bulles ; et puis il y a des bulles qui nâen sont pas rĂ©ellement ! Je ne suis pas convaincu quâil y a une bulle sur le renouvelable car ce secteur Ă une valeur qui ne cesse de croĂźtre. Certes, certaines sociĂ©tĂ©s se vendent cher mais il y a tellement dâutilisations possibles Ă lâĂ©lectricitĂ© renouvelable, qui est finalement la base de lâĂ©lectrification de toute la sociĂ©tĂ©. En revanche, concernant les bornes de recharges de vĂ©hicules Ă©lectriques, câest un autre sujet. LĂ , il y a beaucoup dâacteurs qui se mettent en place, parfois sans business plan Ă©prouvĂ© et sans sĂ©curisation du revenu, que je trouve quâil y a un risque de marchĂ©. Sur lâhydrogĂšne jâai aussi une crainte car il y a tellement dâenvie dâinvestir sur une industrie qui nâest pas encore prĂȘte. Il y a deux ans, on parlait de 200 millions pour aider la filiĂšre, aujourdâhui on a changĂ© dâĂ©chelle. On parle de 7 Milliards juste en France + les aides EuropĂ©ennes. Finalement, il y a beaucoup dâargent et un manque de projetsâŠ
Fanny Grillo : Les fonds infrastructure sont bien lĂ pour dĂ©velopper lâhydrogĂšne. On sâappuie sur la jambe infrastructure de nos participations pour financer lâhydrogĂšne. Dans lâensemble des participations, Il y a un foisonnement de projets hydrogĂšne, un potentiel Ă©norme.
Vincent Trevisani : Pour revenir sur les derniĂšres avancĂ©es technologiques du secteur de lâhydrogĂšne vert et notamment sur le dĂ©veloppement des activitĂ©s de la sociĂ©tĂ© française Lhyfe, un pure player français de la production dâhydrogĂšne vert issue dâĂ©nergies renouvelables, la nouvelle frontiĂšre semble ĂȘtre la production dâhydrogĂšne vert en mer couplĂ©e Ă des installations Ă©oliennes offshore. Il est probable que dans le futur les parcs Ă©oliens offshore seront plus Ă©loignĂ©s des cĂŽtes, peut-ĂȘtre au-delĂ de 80 km. Donc il sera nĂ©cessaire que lâhydrogĂšne produit sur ces sites Ă©loignĂ©s puisse ĂȘtre stockĂ© et ensuite transportĂ© vers les sites de consommation. Câest un autre sujet mais aussi Ă plus long terme. Je ne sais pas comment les investisseurs intĂšgrent aussi ces dĂ©veloppements et lâĂ©valuent aujourdâhui ?
Guy Auger : On croit totalement Ă ce potentiel, mais on lâintĂšgre peu dans la valorisation actuelle, car honnĂȘtement le potentiel sera rĂ©alisable dans plus de 10 ans, donc pour le moment nous sommes plus attentifs aux dĂ©veloppements des trois prochaines annĂ©es.
Fanny Grillo : Néanmoins, malgré toutes nos initiatives, nous savons que la trajectoire des 2 degrés sera difficilement atteignable sans une vigilance accrue sur nos efforts année aprÚs année
Maud Minoustchin : Il faut bien avoir en tĂȘte quâil y a 3 drivers principaux Ă activer pour maintenir le rĂ©chauffement climatique sous la barre fatidique des 1,5° : le dĂ©veloppement des ENR ne suffira pas, il faut aussi accĂ©lĂ©rer la dĂ©carbonation de notre Ă©conomie, tout en captant et stockant le CO2 qui est dĂ©jĂ prĂ©sent dans lâatmosphĂšre, soit de maniĂšre naturelle, soit en ayant recours Ă des technologies de captage de CO2 .
Christine Le Bihan-Graf : Il y a pas mal de projets en ce sens. Pour capter le CO2, il y a des contraintes, et notamment la rĂ©glementation europĂ©enne sur le carbone (ETS) qui ne permet pas de bĂ©nĂ©ficier de certificats dĂšs lors que le CO2 a Ă©tĂ© Ă©mis, mĂȘme sâil est ensuite capturĂ©. Du coup, câest difficile Ă financer et cela nâincite pas les industriels Ă investir dans la dĂ©pollution. .. Câest dâautant plus dommage que le CO2 mĂ©langĂ© avec de lâhydrogĂšne permet de produire du mĂ©thanol avec lequel on fabrique des biocarburants . Il y a des aventures chimiques qui peuvent se tenter et qui seraient bĂ©nĂ©fiques pour la dĂ©carbonation. Donc faire Ă©voluer la rĂ©glementation sur ce point est indispensable .
Jean-Christel Trabarel : MĂȘme dans les stratĂ©gies des fonds, la capture stockage nâapparaĂźt absolument pas dans les prioritĂ©s des scĂ©narios dâinvestissement.
Guy Auger : Il y a aussi les fuels de synthĂšse. Et sur lesquels la France est assez moteur. Ils sont produits exclusivement Ă partir dâĂ©nergies renouvelables, par exemple de lâĂ©nergie solaire ou Ă©olienne. Dans lâidĂ©al, le CO2 utilisĂ© dans leur fabrication provient de lâair ambiant, transformant ainsi les gaz Ă effet de serre en matiĂšre premiĂšre. Sur le e-SAF en particulier, les objectifs contraignants pour les transporteurs sont de passer Ă 1% du fuel total dâici 2025 et 5% dâici 2030, ce qui reprĂ©sente une opportunitĂ© importante. Lâautre avantage câest que le CO2 produit et rejetĂ© lors de la combustion des eFuels peut ĂȘtre recyclĂ© et utilisĂ© pour la fabrication de nouveaux eFuels. Par contre, il est impĂ©ratif de pouvoir utiliser le carbone industriel.
Vincent Trevisani : Pour ce qui concerne le dĂ©veloppement de grosses unitĂ©s de mĂ©thanisation en France, une des questions fondamentales pour les sponsors et les investisseurs est de savoir comment lâenvironnement local (agriculteurs, riverains) va rĂ©agir. Certains sponsors promeuvent dĂ©sormais des projets traitant plus de 300.000 tonnes de dĂ©chets par an alors quâen moyenne, les installations actuelles traitent entre 20.000 et 30.000 tonnes dâintrants annuellement. On se rend compte quâil y a un vrai sujet dâacceptabilitĂ© de ces projets de mĂ©thanisation XXL dans les rĂ©gions concernĂ©es. Le succĂšs de ces projets requiert une adhĂ©sion de lâensemble des parties prenantes.
MdA : Cela assure un complĂ©ment de revenus aux agriculteursâŠ
Vincent Trevisani : Oui mais ce seul argument nâemporte pas lâadhĂ©sion totale des syndicats reprĂ©sentatifs du monde agricole. Ces derniers sont majoritairement favorables au dĂ©veloppement raisonnĂ© de ces projets dans la mesure oĂč ils considĂšrent que lâexpansion des unitĂ©s de mĂ©thanisation agricole est un sujet majeur de la transformation de lâagriculture en France. Le vrai sujet câest la captation des cultures pour produire de lâĂ©nergie Ă la place de produits alimentaires. LâĂ©cosystĂšme agricole français permet un dĂ©veloppement soutenu de la filiĂšre de la mĂ©thanisation agricole. La difficultĂ© câest de trouver le bon Ă©quilibre entre production dâĂ©nergie et production alimentaire.
Julien Lupion : On a plutĂŽt des petits projets de mĂ©thanisation ou de taille intermĂ©diaire en France actuellement qui peuvent ĂȘtre difficiles Ă apprĂ©hender pour des investisseurs Ă©trangers. On peut sâinterroger sur lâespace de marchĂ© pour des trĂšs gros projets car lâacceptabilitĂ© des grosses unitĂ©s est difficile mais il y en aura probablement.
Maud Minoustchin : Cela viendra peut-ĂȘtre par le biais des acteurs du dĂ©chet qui commencent Ă se lancer dans la mĂ©thanisation avec lâobligation rĂ©glementaire des collectivitĂ©s de valoriser leurs biodĂ©chets Ă partir de 2023.