Depuis trois mois et la crise ukrainienne, l’environnement économique a complètement changé. Le besoin d’accélérer la transition énergétique se fait encore plus sentir alors que les prix des énergies fossiles flambent un peu partout en Europe et pèsent sur les bilans des entreprises. Pour nos dirigeants, l’indépendance énergétique devient une priorité. Le gouvernement vient d’annoncer que la France visait désormais une baisse des émissions de 50% d’ici à 2030, contre 40% auparavant. Surtout les acteurs économiques qui accélèrent également depuis quelques mois. En 2021, les émissions de gaz à effet de serre de l’Hexagone ont diminué de 3,8% par rapport à 2019, pour s’établir à un niveau 23% inférieur à celui de 1990. Mais pour aller plus loin et arriver à la neutralité carbone, plusieurs dizaines de milliards d’euros seront nécessaires et le contexte réglementaire devra être largement simplifié. Retour sur les enjeux des ENR présents et à venir avec sept acteurs clés du marché.
MdA : Pourtant, l’hydrogène avait du mal à démarrer…
Christine Le Bihan-Graf : Oui cela a mis du temps. Il faut dire que la commission européenne a un an et demi de retard sur l’examen des demandes d’aides dans le cadre des IPCEI notamment. Les premières notifications sur les plus gros projets, qui concernent le marché amont de l’hydrogène, devraient être effectuées cet été. Toutefois, la Commission européenne ne valide qu’un niveau d’aides, ce sont les Etats qui doivent ensuite les verser. Les porteurs de projets devront donc demander des subventions dans le cadre de France 2030 avant de pouvoir mettre en œuvre leurs projets. Ces aides à l’investissement devront sans doute encore être complétées par des aides au fonctionnement. Des discussions sont en cours avec l’Etat sur la possibilité de compenser le différentiel entre le prix de l’électricité et le prix de l’hydrogène au travers de « contracts for difference». Donc il y a un fort dynamisme dans un contexte chahuté par la volatilité des prix mais porteur.
Vincent Trevisani, Ashurst : Nos clients investisseurs sont toujours très actifs. La vraie difficulté est de trouver les bons projets avec les bons rendements, d’autant que beaucoup de fonds très différents se concurrencent sur certains projets; on retrouve ainsi des fonds d’infrastructure, de Private Equity, d’impact, des investisseurs institutionnels, des groupes énergéticiens, des family offices… Et de fait, les valorisations ont tendance à s’envoler dans le cadre de processus concurrentiels car il devient très difficile pour les investisseurs de trouver des deals bilatéraux sans mise en concurrence. Le marché français attire aussi beaucoup les clients anglo- saxons, qui manifestent toujours de l’intérêt pour les ENR traditionnelles tel que l’éolien et le solaire mais aussi pour les secteurs moins matures, notamment celui de méthanisation. Dans ce secteur de la méthanisation, ils sont habitués à des projets plus importants en taille dans d’autres pays européens et pour eux l’enjeu est d’appréhender l’environnement réglementaire français dans sa globalité mais aussi de façon plus opérationnelle, ils veulent évaluer les risques en matière d’approvisionnement des intrants et de commercialisation du biogaz. En effet, selon la taille et l’organisation des projets de méthanisation, il y a un risque de contrepartie plus ou moins important.
Christine Le Bihan-Graf, De Pardieu Brocas Maffei : Je partage ce qui a été dit par Vincent sur la dynamique mais je dirais que ce qui a changé par rapport à 2021, c’est le contexte économique. Depuis quelques mois, le contexte économique a eu un effet d’accélérateur dans les ENR, notamment dans le solaire certains acteurs se posent vraiment la question de signer un contrat de complément de rémunération. D’autres se demandent s’ils ne doivent pas résilier leur contrat et vendre leur énergie directement sur le marché de gros. Ils ont gagné en confiance et surtout la demande est plus importante que l’offre. Or la signature d’un PPA peut leur permettre d’augmenter le prix de vente de leur électricité et de basculer vers l’économie de marché. Et puis par ailleurs, au-delà de la méthanisation, il y a aussi la très forte accélération des les clients anglo-saxons, qui manifestent toujours de l’intérêt pour les ENR traditionnelles tel que l’éolien et le solaire mais aussi pour les secteurs moins matures, notamment celui de méthanisation.’’. Souvenez-vous il y a encore un an, beaucoup d’acteurs étaient découragés par la réduction des tarifs d’achat et anticipaient la renégociation de leur dette plutôt que de se lancer dans de nouveaux projets. Désormais la donne a changé avec la hausse des prix de marché
Guy Auger, Andera Smart Infra : Je suis d’accord, la dynamique est là, et le marché passe un nouveau cap. On vivait un peu dans un monde de bisounours où l’on ne se posait pas la question de la vente de l’électricité. Désormais, la question se pose. Cela ouvre un champ des possibles énorme. On arrive à une maturité du marché telle qu’outre les producteurs d’électricité, les entreprises s’intéressent de plus en plus à ces sujets pour créer leur propre électricité; Au prix ou je paye mon électricité ils se disent j’aurais peut-être intérêt à créer notre propre électricité… Les possibilités sont multiples. Après pour revenir sur l’Hydrogène, je n’ai pas vu tous les dossiers récents mais beaucoup d’entreprises en sont encore qu’au début de leur aventure avec un horizon plutôt en 2025. Chez Andera Partners, nous avons choisi d’investir dans Lhyfe, pionnier de la production d’hydrogène vert issu d’énergies renouvelables. L’entreprise est très en avance sur ses concurrents et pourrait bien devenir un leader européen dans ce secteur. Mais pour revenir sur les enjeux du moment, je pense que le stockage est le chaînon manquant de l’action gouvernementale. On peut multiplier les projets d’ENR mais si on n’a pas vraiment de marché de stockage en France, on va se retrouver avec un problème d’overproduction d’ici 2030. Or c’est essentiel. Si on ne fait rien, on va se trouver avec un vrai problème de surcapacité. Il me semble que la création de sociétés de stockage devrait être une des priorités.
Maud Minoustchin, Trocadero CP : Du point de vue investisseur, en particulier du capital investissement, la tendance est clairement à l’accélération. En 2021, le marché a vu 2 fois plus d’investissements dans les cleantechs en Europe par rapport à 2020. En France la tendance est la même (2,5 Mds€ investis). Fait intéressant, pour la première fois en 2021, ce ne sont plus les ENR qui arrivent en tête des secteurs les plus prisés par les investisseurs mais l’économie circulaire. Cela montre clairement la maturité des ENR mais aussi l’importance et l’urgence qu’il y a désormais à s’intéresser à d’autres sujets tels que l’économie circulaire et plus généralement la décarbonation de l’économie pour arriver à l’objectif européen de neutralité carbone en 2050.
Fanny Grillo, Edf Invest : Les ENR ont clairement le vent en poupe mais les valorisations sont également élevées que cela soit dans le renouvelable ou le solaire. La question se pose de savoir si le marché actuel n’est pas « une bulle ». Il convient donc d’être plus sélectif en raison de ces prix élevés.
Au sein des renouvelables, de nouvelles opportunités se créent et au-delà des renouvelables, il faut décarboner les actifs d’infrastructure existants à savoir les autoroutes, les aéroports, des réseaux de gaz, les stockages d’hydrocarbure. Cela demande un travail significatif de professionnels en termes de gestion d’actifs pour développer des nouveaux projets et faire adhérer les différentes parties prenantes. Les actifs carbonés comme les actifs d’hydrocarbure sont des actifs tout désignés pour l’hydrogène de demain. Une de nos participations à un projet de production d’hydrogène renouvelable par électrolyse (60MW) à partir d’électricité générée par une centrale photovoltaïque flottante (300MWc) sur des étangs de saumure de la zone de Fos-sur-Mer, dans le but d’approvisionner les industriels de la zone et de répondre à de futurs usages de mobilités de la région. Il faudra certes l’octroi des autorisations administratives nécessaires mais il y a une vraie volonté côté investisseur de décarboner les actifs d’infrastructure existants et de poursuivre le développement des renouvelables. Un autre sujet important me semble t’il est la hausse des taux d’intérêt. Dans ce contexte de marché, quel est l’impact sur nos investissements et sur cette transition ?
Julien Lupion, BPIFrance : L’impact de ce dernier sujet sur le marché est majeur. On connaît un premier semestre 2022 peu dynamique sur le
financement des ENR et en particulier dans l’éolien. La dégradation des conditions économiques et de financement impacte très différemment les projets. Il y a ceux qui restent viables malgré la hausse des taux et de l’inflation et du coup, d’autres projets qui sont complètement mis en attente. Certains acteurs sont très agiles et arrivent à trouver des solutions mais la capacité de pouvoir faire ces pivots très rapides n’est pas évidente. En pratique, cette donne de marché accélère le passage des projets vers la vente directe sur le marché ou aux consommateurs.
MdA : Et du côté des investisseurs institutionnels, quel est le sentiment qui domine ?
Jean-Christel Trabarel : Coté LPs, on sent une vraie prise de conscience et une accélération. L’offre est plus riche car de plus en plus de fonds dédiés à la transition énergétique se lancent à l’international avec par exemple Macquarie et son fonds GIG Energy Transition Solutions ou Brookfield qui lève un fonds focus climat de 15 milliards de dollars. C’est la même dynamique en France avec Tikehau, Capital Croissance, Eiffel, Eurazeo, Epopée Gestion, Tilt, Ring, Andera Partners, Trocadero CP….l’offre s’élargit chaque jour un peu plus depuis deux ans. Il y a aussi les fonds à impact catégorisés Article 9 dans la réglementation européenne SFDR. Résultat : Il y a des poches d’investissement dédiées à l’impact chez les LPs, représentant déjà plusieurs centaines de millions d’euros sur le marché français. Par exemple, le Fonds Européen d’Investissement se positionne fortement sur les fonds de private equity orientés Climat, dans le cadre d’un mandat pour la Banque Européenne d’Investissement, qui se revendique comme étant la banque du climat. Ce qui me frappe aussi c’est que certains LPs commencent à se positionner sur les dossiers avec un horizon 2050. Ils se demandent par exemple comment les GPs anticipent ces sujets et vont se mettre en ordre de bataille pour être carbone neutre.
Autant les Nordiques et les Anglo- Saxons étaient en avance sur les sujets ESG, je dirais que les LPs français sont désormais à la pointe sur le thème de la décarbonisation des portefeuilles.
Maud Minoustchin : Nous lançons avec Trocadéro CP un fonds de private equity article 9 dédié à la transition environnementale et à la décarbonation des PME. Nous sommes en cours de levée de fonds auprès de grands institutionnels et nous recevons un accueil positif. La réglementation européenne sur la transparence des informations en matière d’investissements durables (Règlement SFDR) impose désormais aux LPs de communiquer sur la part verte de leurs actifs, ce qui enclenche une dynamique vertueuse de fléchage des capitaux vers les fonds « verts ». Notre fonds Trocadero Environnement & Performance vise un objectif d’alignement à l’Accord de Paris. Cet objectif est d’autant plus ambitieux que nous n’allons pas cibler uniquement les pure players de la transition énergétique mais également accompagner les PME de tout secteur à se décarboner. Ce fonds fait partie des tous premiers fonds français article 9, et cela demande naturellement quelques efforts de pédagogie auprès des LPs les moins avertis.
Guy Auger, Andera Smart Infra : Oui c’est un vrai sujet, d’ailleurs je dirais que la majorité des LPs aime approfondir les discussions sur ces sujets.
Fanny Grillo : J’ai l’impression qu’il y a un risque d’écarter certains types d’investissement pour les fonds qui se qualifient d’Article 9. Je m’interroge de savoir si les fonds article 9 pourront investir dans les mêmes typologie des investissements en vue de « décarboner ces actifs » que les fonds d’infrastructure classique ?
Maud Minoustchin : La taxonomie européenne permet aussi aux fonds article 9 d’investir dans des activités qui sont en cours de décarbonation, si tant est que certains critères techniques de réduction des émissions de carbone et de limitation des incidences négatives sur l’environnement soient respectés. Aujourd’hui, la taxonomie couvre environ 90 secteurs d’activité qui sont les plus émissifs : la construction, les transports, l’énergie, l’industrie manufacturière. Par ailleurs, la taxonomie est un objet vivant avec des mises à jour régulières.
Fanny Grillo : A l’échelle de la France, il faut regarder les grandes zones à décarboner comme le Havre, la Seine, Fos. Ensuite, la question est de savoir si les fonds à impact peuvent investir dans ces actifs. Les fonds d’infrastructure peuvent jouer ce rôle.
Christine Le Bihan-Graf : L’intérêt de la taxonomie est d’obliger les acteurs à être transparents et à communiquer des informations conformes à ces indicateurs de durabilité. La taxonomie n’interdit pas l’investissement dans des actifs carbonés, elle interdit de déclarer durable ce qui ne l’est pas. Ce faisant, elle va orienter les investissements vers les activités qui doivent devenir plus durables. Il ne s’agit donc pas de désinvestir dans certaines activités mais de les accompagner sur la voie de la décarbonation. Même si on considère que cela ne va pas assez vite, et qu’il y a encore beaucoup d’obstacles réglementaires, la France est plutôt en avance en matière de finance durable et de simplification des procédures administratives. Une loi d’exception pour dynamiser le développement des renouvelables en simplifiant le régime des autorisations administratives sera discutée au Parlement en septembre. Sur la décarbonation de l’industrie, les projets aussi sont nombreux : l’utilisation de l’hydrogène ou la capture du carbone font partie des solutions. Toutefois, les produits verts ne sont pas sur étagère : ce sont les investisseurs et les gestionnaires d’actifs qui devront accompagner les activités économiques sur le chemin de la décarbonation.
Maud Minoustchin : Cela nécessite des capitaux, beaucoup de capitaux mais aussi de mettre en place des dispositifs d’accompagnement opérationnel sur tous ces sujets. D’ailleurs, nous recrutons un impact manager, dédié à l’accompagnement opérationnel de nos futures participations. Notre démarche consiste à définir un plan de développement mais aussi et surtout un plan de décarbonation qui sera chiffré et contractualisé avec l’entreprise pour se conformer à la trajectoire de l’accord de Paris. L’impact manager assurera la mise en musique du dispositif d’accompagnement dont aura besoin la douzaine d’entreprises dans lesquelles nous allons investir.
Julien Lupion, BPIFrance : Sur l’enjeu de proposer conjointement du financement et de l’accompagnement
aux entreprises pour se décarboner, nous partageons pleinement cette approche chez Bpifrance. D’ailleurs, nous sommes un interlocuteur naturel des PME/ETI. Nous leur proposons donc maintenant aussi bien des diagnostics pour évaluer leur impact environnemental et identifier les sources d’économies d’énergie par exemple que des financements à des conditions compétitives pour mettre en œuvre des actions à impact réel sur leur empreinte carbone. Nous souhaitons contribuer à amplifier les différentes initiatives portées par les entreprises et les investisseurs.
Fanny Grillo : Ce qui est compliqué parfois pour les entreprises c’est de dédier des personnes en interne. Chez EDFInvest, nous intervenons sur des sociétés qui ont entre 30 et 250 M€ d’Ebitda. Notre expérience est qu’il faut aider les managements car les fonds leurs demandent beaucoup de choses. Le plus souvent, les bilans carbone sont déjà faits dans nos participations mais il faut les agréger au niveau de notre portefeuille et les comparer pour se donner les moyens de corriger certaines incohérences et d’aller plus loin en termes d’objectif de réduction des émissions. Par ailleurs, pour gérer la transition énergétique, nous avons mis en place des outils pour pousser nos managers à aller vers une accélération de la décarbonation. Par exemple, des critères ESG (comme la santé et la sécurité au travail ou la limitation des émissions)sont introduits dans les rémunérations des dirigeants. Cela peut représenter un pourcentage significatif de leurs objectifs.
Maud Minoustchin : C’est important de promouvoir une convergence d’intérêts entre LPs, investisseurs et entreprises. Nous allons fixer des objectifs environnementaux aux dirigeants d’entreprises avec une contrepartie financière, tout comme le carried du fonds sera adossé à la performance carbone des investissements réalisés.
Fanny Grillo : Il est vrai aussi que ces sociétés on leur demande tout. D’être “compliant”, de faire des “capex”, d’être performants… Il est nécessaire de les aider et leur donner les outils pour réussir à mener leur stratégie carbone.
Guy Auger, Andera Smart Infra : On fait la même chose chez Andera (adosser notre carried aux objectifs impact). L’idée est que les équipes
dans lesquelles on investit puissent développer leur plan et cela marche assez bien. La société qui est la plus dynamique sur ces sujets dans notre portefeuille est aussi la plus petite. Le fait d’avoir un investisseur en capital, cela encourage dans la démarche et peut aider aussi à recruter un responsable impact. Donc on leur donne les moyens de leurs ambitions et ce sont eux qui les réalisent.
MdA : On a abordé un sujet réglementaire. Un projet met parfois 10 ans à se réaliser…Les choses sont- elles en train de bouger ?
Christine Le Bihan-Graf : Oui, car l’objectif est clair, c’est la diminution des gaz à effet de serre. La trajectoire aussi est tracée (Fit for 55 et neutralité carbone). Pour atteindre cette neutralité, RTE a décrit des scénarios. L’enjeu central est l’électrification du mix énergétique. De ce point de vue, la guerre de la Russie contre l’Ukraine nous va contribuer à accélérer en mettant en mouvement des pays qui laissaient une trop grande place aux énergies fossiles dans leur mix énergétique.
Vincent Trevisani : Pour compléter les propos de Christine, du côté des investisseurs étrangers, il y a quand même parfois une difficulté à appréhender le marché français et à anticiper les évolutions de la réglementation, même si la France a fait de gros progrès. Je pense qu’au vu des besoins d’investissements colossaux pour arriver à cette neutralité carbone en 2050, il est aussi important de pouvoir continuer d’attirer les capitaux étrangers. Si l’objectif du gouvernement est de promouvoir le mix énergétique, cela passe aussi nécessairement par une simplification des réglementations pour attirer ces capitaux dans tous les secteurs de la transition énergétique en France. Certains investisseurs internationaux préfèrent encore parfois aller dans des pays voisins. Je crois que compte- tenu des enjeux, on a besoin de tous les investisseurs qu’ils soient français, européens et extracommunautaires.
Julien Lupion : Il y a un secteur sur lequel on voit que la réglementation agit de façon très efficace et vertueuse sur le plan environnemental, c’est l’immobilier aussi bien dans le neuf que la rénovation. Les financeurs se saisissent de plus en plus de ces enjeux et notamment de la valeur verte d’un immeuble.
Jean-Christel Trabarel : De la même façon, il y a beaucoup de fonds “Article 9” qui sont immobiliers. Ils ont très bien emboité le pas de cette récente réglementation européenne. Les investisseurs institutionnels y sont très sensibles. Du coup, pour leurs poches de fonds « Article 9 », les LPs ont le choix entre des fonds de venture capital, de growth equity, quelques fonds d’infrastructure et LBO ainsi qu’un large panel de fonds immobiliers. Nous avons également les sociétés de gestion de fonds de fonds qui lancent des véhicules impact Article 9. Dans toute l’Europe, de l’Espagne aux Nordiques, des fonds de fonds Article 9 sont en cours de lancement.
Christine Le Bihan-Graf : Il y a beaucoup de réglementations parce que la réalité est complexe. L’administration doit régler, par exemple, de manière équitable les conflits d’usage que peut générer l’utilisation des ressources naturelles. Faire de la biomasse pour faire de l’énergie, c’est bien mais il y a d’autres usages du bois qu’il faut protéger. Faire du biocarburant avec du colza, c’est très bien. Mais le colza est aussi utilisé dans l’alimentation. Le développement des projets aujourd’hui peut générer des conflits qui doivent être régulés. Ce dont il faut en revanche se débarrasser c’est effectivement du millefeuille administratif avec des compétences partagées, redondantes…
Fanny Grillo : Oui, les choses bougent et notamment sur les nouveaux projets en lien avec le solaire. Sur ces projets, il n’est pas simple de savoir ce qui est de la compétence du maire, du département, de la région, du préfet, de l’échelon national…Nous travaillons volontiers avec nos participations à s’y retrouver.
Guy Auger, Andera Smart Infra : Si on veut arriver à accélérer il faut arriver au moins à un objectif clair et des pouvoirs décisionnels simples. C’est un peu le but de la loi d’exception.
Christine Le Bihan-Graf : Un grand nombre d’acteurs se sont prêtés à l’exercice des bacs à sable qui permet de faire remonter des propositions de simplification ou d’évolutions réglementaires à la CRE afin qu’elles soient prises en compte dans la loi. Cette procédure de remontée d’informations est une bonne idée. Il faut que les acteurs s’emparent de cette possibilité.
MdA : On a abordé brièvement le sujet des valorisations. Guy, les actifs se vendent très cher. Peut-on aller jusqu’à parler de Bulle ?
Guy Auger : Je pense qu’il n’y a pas une bulle mais des bulles ; et puis il y a des bulles qui n’en sont pas réellement ! Je ne suis pas convaincu qu’il y a une bulle sur le renouvelable car ce secteur à une valeur qui ne cesse de croître. Certes, certaines sociétés se vendent cher mais il y a tellement d’utilisations possibles à l’électricité renouvelable, qui est finalement la base de l’électrification de toute la société. En revanche, concernant les bornes de recharges de véhicules électriques, c’est un autre sujet. Là, il y a beaucoup d’acteurs qui se mettent en place, parfois sans business plan éprouvé et sans sécurisation du revenu, que je trouve qu’il y a un risque de marché. Sur l’hydrogène j’ai aussi une crainte car il y a tellement d‘envie d’investir sur une industrie qui n’est pas encore prête. Il y a deux ans, on parlait de 200 millions pour aider la filière, aujourd’hui on a changé d’échelle. On parle de 7 Milliards juste en France + les aides Européennes. Finalement, il y a beaucoup d’argent et un manque de projets…
Fanny Grillo : Les fonds infrastructure sont bien là pour développer l’hydrogène. On s’appuie sur la jambe infrastructure de nos participations pour financer l’hydrogène. Dans l’ensemble des participations, Il y a un foisonnement de projets hydrogène, un potentiel énorme.
Vincent Trevisani : Pour revenir sur les dernières avancées technologiques du secteur de l’hydrogène vert et notamment sur le développement des activités de la société française Lhyfe, un pure player français de la production d’hydrogène vert issue d’énergies renouvelables, la nouvelle frontière semble être la production d’hydrogène vert en mer couplée à des installations éoliennes offshore. Il est probable que dans le futur les parcs éoliens offshore seront plus éloignés des côtes, peut-être au-delà de 80 km. Donc il sera nécessaire que l’hydrogène produit sur ces sites éloignés puisse être stocké et ensuite transporté vers les sites de consommation. C’est un autre sujet mais aussi à plus long terme. Je ne sais pas comment les investisseurs intègrent aussi ces développements et l’évaluent aujourd’hui ?
Guy Auger : On croit totalement à ce potentiel, mais on l’intègre peu dans la valorisation actuelle, car honnêtement le potentiel sera réalisable dans plus de 10 ans, donc pour le moment nous sommes plus attentifs aux développements des trois prochaines années.
Fanny Grillo : Néanmoins, malgré toutes nos initiatives, nous savons que la trajectoire des 2 degrés sera difficilement atteignable sans une vigilance accrue sur nos efforts année après année
Maud Minoustchin : Il faut bien avoir en tête qu’il y a 3 drivers principaux à activer pour maintenir le réchauffement climatique sous la barre fatidique des 1,5° : le développement des ENR ne suffira pas, il faut aussi accélérer la décarbonation de notre économie, tout en captant et stockant le CO2 qui est déjà présent dans l’atmosphère, soit de manière naturelle, soit en ayant recours à des technologies de captage de CO2 .
Christine Le Bihan-Graf : Il y a pas mal de projets en ce sens. Pour capter le CO2, il y a des contraintes, et notamment la réglementation européenne sur le carbone (ETS) qui ne permet pas de bénéficier de certificats dès lors que le CO2 a été émis, même s’il est ensuite capturé. Du coup, c’est difficile à financer et cela n’incite pas les industriels à investir dans la dépollution. .. C’est d’autant plus dommage que le CO2 mélangé avec de l’hydrogène permet de produire du méthanol avec lequel on fabrique des biocarburants . Il y a des aventures chimiques qui peuvent se tenter et qui seraient bénéfiques pour la décarbonation. Donc faire évoluer la réglementation sur ce point est indispensable .
Jean-Christel Trabarel : Même dans les stratégies des fonds, la capture stockage n’apparaît absolument pas dans les priorités des scénarios d’investissement.
Guy Auger : Il y a aussi les fuels de synthèse. Et sur lesquels la France est assez moteur. Ils sont produits exclusivement à partir d’énergies renouvelables, par exemple de l’énergie solaire ou éolienne. Dans l’idéal, le CO2 utilisé dans leur fabrication provient de l’air ambiant, transformant ainsi les gaz à effet de serre en matière première. Sur le e-SAF en particulier, les objectifs contraignants pour les transporteurs sont de passer à 1% du fuel total d’ici 2025 et 5% d’ici 2030, ce qui représente une opportunité importante. L’autre avantage c’est que le CO2 produit et rejeté lors de la combustion des eFuels peut être recyclé et utilisé pour la fabrication de nouveaux eFuels. Par contre, il est impératif de pouvoir utiliser le carbone industriel.
Vincent Trevisani : Pour ce qui concerne le développement de grosses unités de méthanisation en France, une des questions fondamentales pour les sponsors et les investisseurs est de savoir comment l’environnement local (agriculteurs, riverains) va réagir. Certains sponsors promeuvent désormais des projets traitant plus de 300.000 tonnes de déchets par an alors qu’en moyenne, les installations actuelles traitent entre 20.000 et 30.000 tonnes d’intrants annuellement. On se rend compte qu’il y a un vrai sujet d’acceptabilité de ces projets de méthanisation XXL dans les régions concernées. Le succès de ces projets requiert une adhésion de l’ensemble des parties prenantes.
MdA : Cela assure un complément de revenus aux agriculteurs…
Vincent Trevisani : Oui mais ce seul argument n’emporte pas l’adhésion totale des syndicats représentatifs du monde agricole. Ces derniers sont majoritairement favorables au développement raisonné de ces projets dans la mesure où ils considèrent que l’expansion des unités de méthanisation agricole est un sujet majeur de la transformation de l’agriculture en France. Le vrai sujet c’est la captation des cultures pour produire de l’énergie à la place de produits alimentaires. L’écosystème agricole français permet un développement soutenu de la filière de la méthanisation agricole. La difficulté c’est de trouver le bon équilibre entre production d’énergie et production alimentaire.
Julien Lupion : On a plutôt des petits projets de méthanisation ou de taille intermédiaire en France actuellement qui peuvent être difficiles à appréhender pour des investisseurs étrangers. On peut s’interroger sur l’espace de marché pour des très gros projets car l’acceptabilité des grosses unités est difficile mais il y en aura probablement.
Maud Minoustchin : Cela viendra peut-être par le biais des acteurs du déchet qui commencent à se lancer dans la méthanisation avec l’obligation réglementaire des collectivités de valoriser leurs biodéchets à partir de 2023.